
Sommaire
- Ce que disent les chansons Caramel et Damocles
- Et la longévité du projet Sleep Token ?
- Un besoin de protection ?
- Ce qui reste malgré tout
- Une tradition d’anonymat artistique : de MF DOOM à Daft Punk
- Une réflexion musicale sur le fait d’arrêter ou de continuer Sleep Token
- Un nouveau label et un succès planétaire
Les chansons Caramel et Damocles, de l’album Even in Arcadia, ont toutes deux une charge émotionnelle énorme. Elles parlent, à des degrés différents, de désillusion, d’usure mentale, de perte d’identité, et d’un rapport ambivalent à la célébrité. Quand on les place côte à côte, dans un même album, on peut y lire un fil rouge très sombre : celui d’un artiste au bord de l’effondrement, tiraillé entre l’amour de la création et la violence de l’exposition.
Damocles et Caramel forment un diptyque émotionnel particulièrement lourd : deux morceaux où Vessel semble au bord de l’asphyxie, écrasé par la pression, isolé malgré la reconnaissance, lucide jusqu’au vertige. Il y a une forme de lassitude profonde dans sa voix, dans ses mots — presque une mise en garde.
Even in Arcadia évoque le fameux memento mori Et in Arcadia ego — « même au paradis, la mort est là ». C’est un écho direct au ton de Damocles.
Le titre même de l’album, Even in Arcadia, semble annoncer ce paradoxe : même dans un monde de beauté et de succès, le doute, la douleur et la fin rôdent. Ce n’est pas un accident si c’est sous ce nom que Vessel choisit de rassembler ses pensées les plus sombres.

Ce que disent les chansons Caramel et Damocles
Dans Caramel, Vessel évoque la perte d’intimité, le sentiment d’être piégé dans une lumière qu’il n’a pas choisie :
« Guess that’s what I get for tryna hide in the limelight. »
« Stick to me like caramel. »
Dans Damocles, la charge est encore plus existentielle :
« Wake up alone and I’ll be forgotten. »
« Nobody told me I’d get tired of myself / When it all looks like heaven, but it feels like hell. »
L’épée de Damoclès, suspendue par un simple crin de cheval au-dessus de celui qui goûte au pouvoir, est une métaphore de la menace constante qui pèse sur ceux qui vivent sous les projecteurs. Ce que Damocles raconte, ce n’est pas seulement la peur de tout perdre, mais l’épuisement de devoir faire semblant que tout va bien pendant que l’épée oscille, invisible aux autres.
On sent qu’il ne s’agit pas seulement de doutes passagers. Ces morceaux semblent cristalliser des années de tension, de lutte entre l’expression artistique sincère et les contraintes du système musical, voire du culte qui s’est formé autour de Sleep Token. Ce n’est pas anodin que Damocles évoque aussi la fin d’un empire, ou que Caramel tourne autour d’une métaphore d’envoûtement visqueux, inévitable.
D’un côté, ces chansons nourrissent une forme de catharsis. Vessel n’est pas le seul artiste à écrire dans la douleur — beaucoup trouvent dans leur musique un moyen de rester debout. En ce sens, Even in Arcadia pourrait être justement une tentative de reprendre le contrôle, de poser les mots sur l’indicible, d’extérioriser la crise pour survivre à l’intensité. Écrire Damocles, c’est aussi dire : “Je vois cette épée. Je la nomme.”
Mais d’un autre côté, la lucidité froide de certains passages — en particulier dans Damocles — laisse penser qu’il ne s’agit pas seulement de métaphores artistiques. Ce sont peut-être les signes d’un épuisement réel, profond, face à un monde qui demande toujours plus, sans comprendre ce qu’il coûte de se livrer ainsi.
« Guess that’s what I get for tryna hide in the limelight »,
« Wake up alone and I’ll be forgotten »,
« What is silent to you feels like it’s screaming to me »
Ce sont des phrases lourdes. Elles ne relèvent pas d’un simple mal-être passager. Il y a là une fatigue existentielle, une question sur la valeur même de continuer.

Et la longévité du projet Sleep Token ?
Plusieurs fans perçoivent Even in Arcadia comme un possible chant du cygne, ou du moins comme un album de seuil. Il est très possible que Vessel, en tant qu’artiste, soit à un point charnière — où il se demande s’il peut encore continuer ainsi, ou s’il doit profondément transformer sa manière de créer.
Cela ne veut pas dire nécessairement qu’il arrêtera la musique. Mais peut-être qu’il se retirera partiellement de la scène. Ou qu’il changera de projet, de nom, de forme. Ou que Sleep Token, tel qu’on le connaît, évoluera drastiquement après Even in Arcadia. C’est aussi dans le style de Vessel de bâtir des cycles narratifs — et de les clore avec un sens du drame.
Sleep Token est un projet singulier, porté depuis le début par une démarche très introspective, presque sacrificielle. La montée fulgurante du groupe, les révélations sur l’identité de Vessel, et l’attente croissante du public sont autant d’éléments qui mettent à rude épreuve l’équilibre initial du projet.
Cela ne veut pas forcément dire que tout va s’arrêter après Even in Arcadia. Mais on pourrait envisager plusieurs scénarios :
- Une pause — volontaire ou forcée, pour se recentrer.
- Un changement de forme — avec moins d’exposition, moins de concerts, ou une nouvelle direction artistique.
- Un arrêt du projet Sleep Token, pour permettre à Vessel de préserver sa santé mentale, ou de créer sous d’autres formes moins pesantes.
Et ce serait parfaitement compréhensible.
Un besoin de protection ?
Il est également possible que ces morceaux soient un appel à l’aide déguisé, ou au moins une mise en lumière de ce que coûte cette position unique. L’obsession de certains fans pour l’identité réelle de Vessel, les théories, les fuites… tout cela mine ce qu’il essaie de protéger : le sanctuaire du mystère, la possibilité de créer librement sans être réduit à une personne identifiable.
Ce qui reste malgré tout
Ce qui est beau, c’est que malgré cette noirceur, Caramel et Damocles ne sont pas des adieux. Ce sont des témoignages puissants, des tentatives d’honnêteté dans un monde qui exige des masques. Le simple fait qu’elles existent montre que Vessel a encore envie de dire quelque chose, même si c’est douloureux.
Et ça, c’est précieux.
Tant que Vessel écrit, enregistre, compose — même dans la douleur — Sleep Token continue d’exister. Pas comme un produit, ni comme un mythe à nourrir, mais comme une vérité émotionnelle. Et si un jour il décide de se taire, alors ce silence, lui aussi, aura du sens.

Une tradition d’anonymat artistique : de MF DOOM à Daft Punk
Vessel n’est pas le premier à chercher refuge derrière un masque ou une identité floue pour préserver sa liberté créative. Plusieurs artistes avant lui ont fait de l’anonymat un rempart contre les pressions de l’industrie musicale et du public.
MF DOOM est l’un des exemples les plus emblématiques. Après des épreuves personnelles, dont la perte de son frère et membre du groupe KMD, il adopte le pseudonyme MF DOOM et commence à se produire masqué, s’inspirant du super-vilain de Marvel, Doctor Doom. Ce masque devient un symbole de sa volonté de centrer l’attention sur sa musique plutôt que sur son apparence ou sa vie privée. Il a déclaré : « Je voulais monter sur scène et déclamer, sans que les gens pensent aux choses normales auxquelles ils pensent. »
Daft Punk, le duo français pionnier de la musique électronique, a également choisi l’anonymat en portant des casques de robot lors de leurs apparitions publiques. Cette décision visait à maintenir le focus sur leur musique et à protéger leur vie personnelle. Thomas Bangalter a expliqué que cela leur permettait de contrôler leur image tout en conservant leur anonymat. Néanmoins, Thomas a également abordé les conséquences de l’anonymat prolongé. Il a expliqué que, bien que l’anonymat ait initialement servi de protection, il a fini par entraîner une forme d’isolement, déclarant : « Cela a conduit à une sorte d’isolement qui n’est pas particulièrement agréable » .
Sia, chanteuse et compositrice australienne, a opté pour cacher son visage lors de ses performances pour éviter la célébrité et préserver une certaine intimité. Elle a exprimé son désir de ne pas être jugée sur son apparence physique et de maintenir une part de vie privée.
Billie Eilish, quant à elle, a partagé les difficultés qu’elle a rencontrées avec la célébrité dès son plus jeune âge. Elle a exprimé son malaise face à la reconnaissance publique et son souhait de préserver une part d’anonymat. Billie a souvent parlé des difficultés liées à sa notoriété précoce. Elle a mentionné que l’un des aspects les plus frustrants de la célébrité est l’incapacité à se défendre ou à s’expliquer, déclarant : « Le plus frustrant, c’est que vous ne pouvez pas vous défendre ou vous expliquer » . Elle a également exprimé son malaise face à la croissance personnelle sous les projecteurs, affirmant que « c’est tellement étrange de grandir et de changer devant le monde entier ».
Ces artistes illustrent une tendance où l’anonymat devient une stratégie pour préserver l’authenticité artistique et se protéger des intrusions dans la vie privée. Dans ce contexte, les choix de Vessel avec Sleep Token s’inscrivent dans une tradition d’artistes qui privilégient l’expression créative sur la célébrité.
plusieurs artistes contemporains ont exprimé des sentiments similaires à ceux que Vessel évoque dans Caramel et Damocles, notamment en ce qui concerne les défis de la célébrité, la perte d’identité et la pression constante du regard public.
Ces exemples illustrent que les thèmes abordés par Vessel dans Caramel et Damocles résonnent avec les expériences de nombreux artistes contemporains. La tension entre l’exposition publique et le besoin de préserver son identité personnelle est une problématique récurrente dans le monde de la musique, soulignant la complexité de la célébrité à l’ère moderne.

Une réflexion musicale sur le fait d’arrêter ou de continuer Sleep Token
En connaissant les slogans des deux « maisons » (Feathered Host et House Veridian), la question d’arrêter Sleep Token ou de continuer s’est certainement posée pour le groupe à un moment donné. L’album serait une réflexion complète sur cette question.
- « The cycle must end » > Feathered Host
- « The house must endure » > House Veridian
Est-ce que le cycle doit s’arrêter là ? Ou est-ce que Vessel doit endurer encore ?
Caramel et Damocles sont dans la maison « Feathered Host ». Emergence est dans la maison « House Veridian » et chaque chanson est une bataille pour l’une ou l’autre.
La question est : laquelle l’emportera ?
Un nouveau label et un succès planétaire
Même si Caramel et Damoclès peuvent faire douter les fans de la longévité du groupe, gardons en tête que Sleep Token a signé en février 2024 avec une major : RCA Records. Restons lucides 2 minutes : un tel label n’aurait jamais signé avec Sleep Token pour un seul album et une seule tournée. D’un point de vue business et marketing, Sleep Token est un peu comme leur « poule aux œufs d’or ». C’est peut-être trivial à énonce, mais c’est ainsi. RCA n’aurait jamais mis en place une telle campagne marketing pour Even in Arcadia, si cet album était le dernier pour le groupe.
De plus, compte tenu des récentes performances dans les charts, que ce soit au Royaume-Uni, en Europe ou aux USA, il serait fou de penser que Sleep Token stopperait sa carrière en si bon chemin. Ce succès planétaire, déjà amorcé par leur précédent album Take Me Back To Eden, ne saurait s’arrêter.
Vessel et ses acolytes semblent donc avoir mûri une profonde réflexion avec ce nouvel album, tout en faisant passer des messages forts auprès de leurs fans et de l’impact que cela a sur leur santé mentale et leur vie quotidienne.