Sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare de voir des extraits de concerts où l’attention du public se détourne de la musique pour se concentrer… sur le corps de l’artiste. C’est un phénomène qui touche aussi bien les chanteuses que les chanteurs, et qui interroge : jusqu’où le public a-t-il le droit de projeter ses propres fantasmes sur une performance artistique ?
Quand le regard prend le dessus sur l’art
De nombreuses chanteuses sont régulièrement jugées sur leurs vêtements ou leur physique, parfois plus que sur leur voix. Dans ces cas-là, beaucoup rappellent — à juste titre — que l’artiste a le droit de s’habiller comme elle le souhaite, et que la sexualisation vient du regard extérieur, pas de son intention.
Plus récemment, un exemple masculin a attiré l’attention : celui de Vessel, chanteur de Sleep Token. Vêtu sur scène d’un pantalon noir ample, il est devenu la cible de vidéos virales sur TikTok et Instagram où certains fans zooment sur son entrejambe, en détournant l’attention de sa performance. On peut alors lire des commentaires du genre « il sait très bien ce qu’il fait ».

Intention ou interprétation ?
Dans le cas de Vessel, rien n’indique qu’il cherche à provoquer ce type de réactions. L’artiste n’a jamais fait de commentaire public à ce sujet, et son costume de scène s’inscrit avant tout dans une esthétique : masque, vêtements amples et mise en scène quasi rituelle.
Le problème ne semble donc pas résider dans le choix de tenue, mais dans l’interprétation du public. C’est ici que la question devient intéressante : si une artiste féminine a le droit d’être défendue face à la sexualisation, pourquoi serait-il plus difficile d’adopter la même posture lorsqu’il s’agit d’un homme ?
Le corps comme langage scénique
Il faut toutefois reconnaître que le corps occupe une place centrale dans la performance de Sleep Token.
- Vessel se produit souvent torse nu, recouvert de peinture, et joue avec sa transpiration qui efface peu à peu ce masque corporel. Un jour, il est même allé jusqu’à dessiner un cœur sur son ventre.
- Il arrive qu’il embrasse ses musiciens, le bassiste (III) ou le guitariste (IV).
- Lorsqu’ils jouaient Sugar en live, il se mettait parfois à califourchon sur III.
- À leurs débuts sur scène Vessel et III s’amusaient à prendre des positions suggestives, choses qu’ils ne font désormais plus aujourd’hui.
- Dans The Summoning, sur la phrase « Or maybe make a good girl bad », il insiste de façon sensuelle sur le mot « bad », produisant une réaction du public qui semble être ici recherchée.
Ces gestes montrent que la sensualité fait partie intégrante du langage scénique de Vessel. Elle brouille les frontières entre intimité et performance, désir et rituel. Le corps devient un instrument supplémentaire, une métaphore vivante au service de la musique.
Mais il y a une nuance essentielle : jouer avec la sensualité sur scène ne signifie pas consentir à être réduit à son anatomie. L’un est une démarche artistique consciente, l’autre une appropriation voyeuriste qui sort du cadre.

Consentement et sexualisation
C’est ici qu’intervient la question du consentement. Vessel n’a jamais exprimé publiquement son accord pour être sexualisé par son public, ni sur scène, ni en dehors. Le fait qu’il utilise son corps comme outil d’expression ne peut en aucun cas être interprété comme un feu vert à l’objectification.
La nuance est fondamentale :
- Exprimer une sensualité artistique dans une performance ≠ accepter d’être réduit à un objet sexuel.
- Jouer avec le désir sur scène ≠ consentir à ce que des vidéos zoomées de son anatomie circulent sans contexte.
L’absence explicite de consentement doit donc être comprise comme une invitation au respect : ce n’est pas parce que l’artiste ne dit rien qu’il consent. Et inversement, ce silence ne donne pas au public un blanc-seing pour interpréter librement son corps.
Le double standard sexiste

La différence de traitement entre les artistes féminines et masculins révèle un double standard.
- Dans un cas, on rappelle volontiers que la responsabilité incombe au regard, pas à la tenue.
- Dans l’autre, on suppose plus facilement que l’homme « en joue » ou « cherche à séduire ».
Ce biais culturel mérite d’être souligné. Car au fond, le problème n’est pas de savoir ce que Vessel (ou n’importe quel autre artiste) a voulu montrer, mais de reconnaître que la sexualisation résulte d’un regard qui choisit de réduire une performance à un détail corporel.
Une question de respect
Il y a bien sûr un paradoxe : écrire sur ce sujet, n’est-ce pas lui donner encore plus d’importance ? Peut-être. Mais il est utile de rappeler que derrière l’écran ou dans la salle de concert, les artistes méritent que leur travail soit regardé dans sa globalité.
Que l’on parle d’une chanteuse en tenue moulante ou d’un chanteur en pantalon ample, la conclusion est la même : respectons l’artiste, respectons son choix vestimentaire, et ne réduisons pas une performance musicale à une silhouette.

La sexualisation des artistes n’est pas nouvelle, mais elle évolue avec les réseaux sociaux, où quelques secondes de vidéo peuvent détourner le sens d’un concert entier. Dans ce contexte, le cas de Vessel rappelle une chose essentielle : notre responsabilité, en tant que public, est de préserver la dignité des artistes, au lieu de les réduire à un corps.
Dans l’univers de Sleep Token, le corps n’est pas un objet à consommer, mais un outil au même titre que la voix ou les instruments. Il sert à exprimer la vulnérabilité, le désir, la douleur, le sacré. Le respect du public consiste à voir cette dimension artistique dans son ensemble, sans la réduire à une image décontextualisée.
