Two (EP) – 2017

Two Sleep Token - illustration graphique de la track list de l'EP Two de Sleep Token avec les titres, les durées des chansons et les styles d'ambiance par morceau

Sommaire


Sorti en 2017, Two poursuit et approfondit la vision artistique introduite avec One. Ce second EP confirme l’identité sonore et spirituelle de Sleep Token : une musique oscillant entre intimité et intensité, portée par une esthétique profondément émotionnelle et une narration toujours imprégnée de symbolisme. Plus ambitieux dans ses arrangements et plus audacieux dans son mélange des genres, Two contient trois titres marquants : Calcutta, Nazareth, et Jericho.

1. Calcutta

Durée : 4:56
Ambiance : Hypnotique, sensuelle, ascensionnelle

Analyse instrumentale

« Calcutta » inaugure l’EP Two avec une atmosphère immersive et introspective, typique des débuts de Sleep Token. Musicalement, le morceau déploie une lente montée émotionnelle, alternant entre fragilité et intensité retenue. La voix de Vessel, toujours aussi éthérée, semble flotter dans un espace presque sacré, accompagnée de nappes instrumentales minimalistes. La production favorise l’intimité et la résonance intérieure, comme si chaque mot était prononcé à l’intérieur d’un souvenir. C’est une pièce de réflexion et de reconnexion, chargée d’émotion contenue.

Analyse des paroles : souvenir, reconnexion et complétude éphémère

« Calcutta » traite d’un moment fugace de complétude retrouvée, lorsque l’on revoit ou ressent une personne chère dans un souvenir, un rêve, ou une pensée persistante. La chanson explore le désir de réparation émotionnelle, le fait de retrouver des « morceaux manquants » de soi à travers l’autre. Mais cette plénitude n’est que temporaire, car elle s’efface « when the morning comes », laissant un vide renouvelé. Il y est question de présence fantomatique, d’obsession douce et d’un amour qui transcende le temps mais reste hors d’atteinte.

Le morceau s’ouvre sur une sensation d’enchevêtrement : « I am caught, tangled in / Wrapped and quartered ». Cela exprime un état d’emprise émotionnelle, une perte de contrôle liée à la mémoire ou à l’attachement. L’image du « Time, lived again / For just a moment » revient à plusieurs reprises, martelant l’idée d’un temps suspendu, d’un instant où l’on revit un lien ancien, comme dans un rêve ou une vision.

“Missing pieces find me” est une ligne-clé : à travers cette évocation, la chanson exprime comment le souvenir ou la présence intangible de l’autre comble un vide intérieur, comme si cette personne était nécessaire pour redevenir « entier ».

L’obsession se manifeste aussi dans la répétition : « And I wake, say your name », symbole d’un lien mental inaltérable, presque inconscient. L’être aimé devient “more than warm belief / Melting skywards” — une figure quasi spirituelle, ascensionnelle, plus grande que nature. Mais cette élévation ne dure qu’“until the morning comes” : la lumière du réel dissipe l’illusion.

La dernière partie du morceau répète en boucle « Time, lived again / Missing pieces find me / And I’m whole again », insistant sur cette quête de rémission momentanée, avant que la réalité ne vienne briser l’extase.

« Calcutta » est une méditation douce-amère sur la complétude fugace que l’on peut ressentir en revisitant un amour passé — que ce soit dans le rêve, la mémoire ou l’obsession. La chanson capte ce moment suspendu où les morceaux de soi se réassemblent, juste avant que l’aube ne vienne les disperser à nouveau. À travers une atmosphère vaporeuse et une écriture à la fois poétique et douloureuse, Sleep Token évoque ici la beauté fragile de ces instants où l’on se sent « entier », ne serait-ce qu’un instant.

2. Nazareth

Durée : 5:43
Ambiance : Spirituelle, mélancolique, cinématographique

Analyse instrumentale

Avec Nazareth, Sleep Token plonge dans une ambiance beaucoup plus sombre et violente, aussi bien sur le plan sonore que lyrique. Le morceau contraste fortement avec la douceur mélancolique de Calcutta, en déployant une énergie menaçante et orageuse. On y retrouve des textures industrielles, des percussions lourdes et un chant chargé de rage contenue. Cette chanson marque une rupture brutale, comme une déflagration émotionnelle : elle est le point de bascule, le moment où la douleur se transforme en colère destructrice.

Analyse des paroles : vengeance, rage et violence intérieure

Nazareth traite de la colère après la trahison, et de la tentation de la vengeance comme catharsis. Le nom du titre, chargé de symbolique biblique (Nazareth étant la ville d’origine de Jésus), laisse entrevoir un sous-texte religieux ou spirituel perverti — comme si ce morceau se plaçait sous le signe d’une apocalypse personnelle. Il s’agit d’une montée en puissance de ressentiment, où l’amour blessé se transforme en haine, et où la souffrance appelle à une réponse violente, presque sacrificielle.

Le vers d’ouverture « I’ll see you when the wrath comes / Knocking on your bedroom door » installe une atmosphère d’attente glaçante : la colère est personnifiée, comme une force qui vient réclamer des comptes. Le « bedroom door » — lieu intime — devient la scène d’une confrontation inévitable. La suite, « Building you a kingdom / Dripping from the open mouth », évoque une image grotesque de pouvoir ou de vanité construite sur le mensonge ou la souffrance.

Puis, « Let’s load the gun / Make her eat the tape in the bathroom mirror » fait basculer la chanson dans une violence brutale et psychologique. Il ne faut pas y lire nécessairement une scène littérale, mais plutôt une métaphore du désir de contrôle, de l’auto-mutilation mentale ou symbolique que génère la douleur amoureuse. La mention du « hollow point », une balle qui explose à l’impact, renforce cette idée d’implosion émotionnelle : le corps devient ici le réceptacle d’une rage inextinguible.

Le vers « Manifest pain at the core of pleasure » condense le propos de la chanson : la souffrance et le plaisir sont entremêlés, indissociables, et l’un se manifeste au cœur de l’autre. Enfin, les répétitions du refrain « Tonight you’ll have the answer » sonnent comme une menace prophétique — une promesse de jugement. Le « they won’t be missing you » qui s’invite dans les dernières lignes évoque l’effacement, la disparition, peut-être même une forme de purification par la violence.

Nazareth est le cri de vengeance de celui ou celle qui a été trahi·e, humilié·e, vidé·e. C’est un morceau chargé d’images violentes, presque rituelles, où la souffrance se fait chair, et où la réponse émotionnelle prend des airs d’exécution symbolique. La figure de l’autre, jadis aimée, devient l’objet d’un règlement de comptes intérieur. Dans ce théâtre d’ombres, Sleep Token explore les zones les plus sombres de l’attachement, là où l’amour se mue en colère destructrice.

3. Jericho

Durée : 5:33
Ambiance : Épique, dramatique, libératrice

Analyse instrumentale :

« Jericho » clôt l’EP Two dans une atmosphère sensuelle, trouble et hypnotique. Le morceau se distingue par sa fluidité ondulante, ses textures électroniques subtiles, et ses transitions douces mais lourdes de sous-entendus. C’est une pièce enveloppante, presque aquatique, à la frontière du rêve et de la fièvre. Vocalement, Vessel se fait tour à tour implorant, mystique et vulnérable. L’ambiance générale évoque un rite charnel et sacré, une immersion dans une intimité chargée d’émotions anciennes.

Analyse des paroles : désir, résurgence du passé et culpabilité

« Jericho » traite de la mémoire charnelle, du désir ravivé, et du poids du passé dans la relation à l’autre. Le titre, Jericho, évoque la ville biblique dont les murs sont tombés au son des trompettes — une image puissante pour symboliser l’effondrement des défenses, ou la révélation intime. Le morceau explore ce moment où le corps et l’esprit se souviennent, où l’on goûte à nouveau à un amour ancien, comme à une chair nouvelle, avec tout le paradoxe émotionnel que cela implique : plaisir, honte, intensité, confusion.

La chanson s’ouvre sur l’image de la submersion : « Tread, ancient water salt / Like I / Sink, down like precious stones ». L’idée de couler lentement évoque une immersion volontaire dans la mémoire ou dans un désir refoulé. Puis revient le motif du passé ressurgissant : “Until I wake, I dine on old encounters” — littéralement, se nourrir des anciennes expériences, des souvenirs sensuels ou amoureux.

“You taste like new flesh”, répété plusieurs fois, est une ligne puissante : elle exprime cette étrange sensation de redécouverte, lorsque quelque chose de connu se présente sous un jour nouveau, ravivant la passion avec une intensité renouvelée.

Le vers “Fold secrets in the sweat / Like I / Swallow years beneath this bed” évoque la confession charnelle, le poids des années dissimulé sous les draps — un amour ancien qui n’a jamais totalement quitté le narrateur. La phrase « Something in the way you lay / Enough to make the dead switch graves” suggère un pouvoir magnétique, presque mystique, de l’autre : une sensualité si forte qu’elle réveille les morts, au propre comme au figuré.

Enfin, la répétition lancinante de “My hands are not worthy” marque une culpabilité viscérale, comme si l’acte charnel entrait en conflit avec un sentiment d’indignité ou de honte — un thème récurrent chez Sleep Token. Le refrain revient à “’Til I wake, I dine on old encounters”, scellant cette boucle de désir posthume, de retour éternel au passé.

« Jericho » est une plongée en eaux profondes, où désir, mémoire et honte s’enlacent dans une danse lente et enivrante. Le morceau évoque l’intimité avec un amour ancien, revécue avec une intensité presque sacrée, mais toujours empreinte de culpabilité. Sleep Token y tisse une ambiance de sensualité trouble, où le plaisir devient une forme de rituel, et la mémoire, un festin répétitif. En clôture de l’EP Two, « Jericho » agit comme un murmure final, lourd de sensations et de réminiscences.

Synthèse de l’EP Two (2017)

Ambiance générale

Beaucoup plus contrasté, viscéral et conflictuel, l’EP Two montre Sleep Token sous un jour plus sombre, plus tourmenté. Les textures sonores se font plus épaisses, la dynamique vocale plus expressive, et la violence émotionnelle devient centrale. Ce projet agit presque comme une résurrection dramatique du passé, où les sentiments anciens sont réactivés avec une intensité déstabilisante.

Thèmes centraux

  • Renaissance émotionnelle douloureuse (Calcutta)
  • Colère, vengeance et perversion de l’amour (Nazareth)
  • Désir spectral, mémoire charnelle et culpabilité (Jericho)

Lecture d’ensemble

L’EP Two semble dessiner le parcours d’une chute intérieure : on y passe d’un amour ravivé dans la douleur (Calcutta), à une explosion de rage destructrice (Nazareth), puis à une redescente plus intime, hantée par les souvenirs sensuels (Jericho). Sleep Token y traite l’amour non plus comme un refuge, mais comme une faille ouverte, un gouffre où se rejouent les blessures non cicatrisées.

Motifs récurrents

L’indignité, la honte d’aimer ou d’avoir aimé

La mémoire du corps, des sensations et des souvenirs

La violence symbolique, psychologique, parfois physique

Contexte de l’EP Two

Suite à la sortie de One, Sleep Token commence à attirer une petite communauté d’auditeurs passionnés. L’univers mystique du groupe intrigue, leur esthétique sobre et sacrée fascine. Avec Two, sorti un an plus tard, le groupe continue de cultiver son anonymat, mais perfectionne son art : la production devient plus maîtrisée, les structures plus audacieuses, et le chant de Vessel, encore plus expressif.

Ce second EP s’impose comme un jalon clé dans leur développement artistique. Il préfigure les grands thèmes de Sundowning (sorti en 2019) et pose les fondations de leur rapport entre intensité émotionnelle et imagerie spirituelle. Il marque aussi un tournant dans leur fanbase, car il commence à circuler dans les cercles alternatifs comme une « pépite cachée » qu’on recommande avec ferveur.

Conclusion

Two est une extension directe mais plus ambitieuse de One. Là où le premier EP suggérait une forme de supplication intime, Two explore davantage la transformation, la perte, et la transcendance. Les trois morceaux fonctionnent comme des chapitres d’un même rituel : appel, souvenir, effondrement. La palette sonore s’élargit, les émotions deviennent plus viscérales. Sleep Token affirme avec ce second EP qu’il ne s’agit pas d’un simple projet musical, mais d’un véritable culte sonore et spirituel, où chaque chanson est un rite.

Ces deux premiers EPs (One et Two) peuvent être vus comme les deux pôles d’une même relation :

  • One explore la vulnérabilité du lien naissant et la douleur douce de la perte.
  • Two explore la résurgence brutale du passé, la colère et le désir rémanent.

Ensemble, ils forment une préface émotionnelle et symbolique à ce que Sleep Token développera plus tard dans Sundowning : un univers musical et narratif où le sacré et le charnel, l’adoration et la destruction, se confondent jusqu’à l’extase ou l’effondrement.


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